Dans un rapport récent du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), on trouve un reflet troublant de notre réalité environnementale actuelle et future, et l’appel à l’action est clair : le monde doit atteindre l’objectif de zéro émission nette, et ce, rapidement. Pour les entreprises et les investisseurs, la voie à suivre exige d’aller bien au-delà des émissions opérationnelles (émissions de portée 1 et 2) et d’adopter une stratégie qui tient aussi compte des émissions générées dans l’ensemble de la chaîne de valeur (émissions de portée 3).
Dans le cadre du protocole des gaz à effet de serre, les émissions de portée 3 peuvent être divisées en 15 catégories, les deux catégories les plus importantes étant la catégorie 1 (biens et services achetés) et la catégorie 11 (utilisation de produits vendus). Malheureusement, les rapports sur les émissions de portée 3 sont peu fiables.
En date d’août 2021, seulement 40 % des entreprises de l’indice MSCI Monde tous pays (MSCI Monde TP) déclaraient une certaine quantité d’émissions de portée 3, contre 65 % pour celles de portée 1 et 2. La grande majorité des données ne tiennent pas compte de toutes les catégories de la portée 3. La capacité de brosser un portrait précis des émissions de portée 3 réelles d’une entreprise est donc limitée. Ce défi peut découler de plusieurs facteurs, comme la difficulté à recueillir des données exactes sur les émissions de portée 3, la volonté d’éviter une éventuelle double comptabilisation et le sentiment général selon lequel les émissions de portée 3 ne devraient pas être la responsabilité d’une entreprise.
Compte tenu de ces lacunes dans les données et de l’incertitude des entreprises, les investisseurs ont d’importantes occasions d’intensifier leurs efforts en matière d’engagement envers le climat et de s’attaquer à ce problème avec plus de rigueur.
Les secteurs qui passent inaperçus
Habituellement, lorsque les investisseurs mobilisent les émetteurs à l’égard des changements climatiques, ils mettent l’accent sur les secteurs traditionnellement considérés comme produisant des émissions élevées, comme le pétrole, le gaz et les services publics. Toutefois, en ce qui concerne les émissions de portée 3, ils doivent également être conscients des risques que posent certains secteurs qui passent inaperçus, comme celui de la technologie.
Selon des modèles d’estimation des émissions de portée 3, ces dernières représentaient 92 % de l’ensemble des émissions des entreprises de l’indice MSCI Monde Technologies de l’information, contre 87 % pour les entreprises de l’indice MSCI Monde Énergie. Pour mettre les choses en perspective, dans le cadre de l’initiative des objectifs fondés sur des données scientifiques, les entreprises qui fixent ce type d’objectifs doivent inclure les émissions de portée 3 si celles-ci représentent plus de 40 % de leurs émissions de portée 1, 2 et 3 combinées.
Il est important que les investisseurs comprennent d’où proviennent ces émissions de portée 3. Dans le secteur de la technologie, ces émissions sont liées au réseau fournissant l’électricité qui alimente les produits devenus omniprésents dans la vie quotidienne. Le réseau du Canada est considéré comme l’un des plus propres au monde. L’électricité provient principalement de sources non émettrices, comme l’hydroélectricité ainsi que l’énergie nucléaire, solaire et éolienne, tandis qu’environ 20 % proviennent de sources émettrices de carbone, comme le charbon, le pétrole et le gaz.
Toutefois, l’électricité produite à partir de combustibles fossiles représente 63 % du total mondial et le charbon en est la principale source (37 %). Ainsi, chaque fois qu’une personne branche son téléphone pour le recharger, ouvre une session de télétravail ou branche son véhicule électrique, l’électricité qu’elle utilise peut représenter une source importante d’émissions de gaz à effet de serre.
L’incidence des émissions de portée 3 sur les portefeuilles
Les entreprises dont la majeure partie des émissions de portée 3 se retrouvent dans la catégorie 11 (utilisation de produits vendus) font face à des risques liés à la transition vers une économie à faibles émissions de carbone, soit parce que les clients passent à des produits à faibles émissions, soit parce que les taxes sur le carbone sont plus élevées, ce qui peut influer sur leurs flux de trésorerie. De même, les entreprises dont la majeure partie des émissions de portée 3 font partie de la catégorie 1 (biens et services achetés) pourraient également composer avec des contraintes de flux de trésorerie en raison de l’augmentation des coûts d’approvisionnement.
Bien que les émissions de portée 3 aient toujours été difficiles à quantifier et à mesurer, plusieurs nouveaux outils existent aujourd’hui pour faciliter l’analyse des entreprises et des portefeuilles, y compris des modèles d’estimation raffinés pour les émissions de portée 3. Même si ces méthodes évoluent et s’améliorent toujours, elles peuvent permettre aux investisseurs de comparer les entreprises d’un même secteur et d’une même région, ce qui les aide à mieux déterminer les entreprises sur lesquelles concentrer leurs efforts en matière d’engagement envers le climat.
Encourager la communication, une première étape essentielle
Peu importe le secteur, encourager la communication sur les émissions de portée 3 représente une première étape essentielle pour les entreprises qui ne mesurent pas ces émissions ou ne produisent pas de rapports à ce sujet à l’heure actuelle. Quant aux entreprises qui rendent compte de ces émissions, les investisseurs peuvent également examiner les catégories des émissions de portée 3 qui sont incluses et essayer de comprendre les difficultés auxquelles ces entreprises ont fait face relativement à la production de ces données.
La transparence en matière d’émissions n’est pas le seul levier qui favorise l’engagement. Les investisseurs peuvent aussi chercher des renseignements sur la façon dont les entreprises prévoient réduire les émissions de portée 3 au fil du temps. Ils peuvent se renseigner auprès des entreprises émettrices au sujet des pratiques de gestion, qu’il s’agisse d’un constructeur automobile qui fabrique des véhicules moins énergivores, d’un fabricant de technologies qui réduit l’intensité énergétique de son matériel ou d’un raffineur qui collabore avec ses fournisseurs.
Au fil du temps, nous croyons que les habitudes de consommation favoriseront les produits qui ont une empreinte carbone globale plus faible et que la production rattrapera graduellement cette demande. Entre-temps, toutes les entreprises ont la responsabilité collective de comprendre leurs émissions de portée 3, tandis que les investisseurs sont responsables d’encourager les entreprises à prendre des mesures concrètes pour réduire leur empreinte.