Diligence raisonnable en matière de droits de la personne pour les investisseurs : Un coup d’œil sur les droits des peuples autochtones en Amérique latine

27 juin 2024 | Sarah Morris Lang, Emil Sirén Gualinga

Les Canadiens sont tenus de respecter les droits de la personne au Canada et partout dans le monde. Dans cet article, nous sensibilisons les gens aux risques élevés liés aux droits de la personne pour les Autochtones en Amérique latine et à ce que les investisseurs peuvent faire pour s’acquitter de leurs responsabilités en matière de diligence raisonnable pour les droits de la personne dans toutes les régions, compte tenu de l’évolution des attentes réglementaires et des attentes des parties prenantes.

La demande de minéraux pour soutenir la transition énergétique devrait exploser au cours des prochaines années et des prochaines décennies. Les peuples autochtones du monde entier risquent d’être touchés de façon disproportionnée, même s’ils contribuent le moins aux changements climatiques, étant donné que 50 % de ces minéraux se trouvent sur leurs terres traditionnelles ou à proximité de celles-ci. De plus, ils protègent jusqu’à 80 % de la biodiversité restante du monde, tout en assurant son maintien. Bien que les investisseurs institutionnels canadiens soient de plus en plus sensibilisés au respect des droits des Autochtones et à la réconciliation dans le contexte canadien, ils connaissent moins bien les meilleures pratiques en la matière pour les autres régions et contextes. Parallèlement, on s’attend de plus en plus à ce que les investisseurs tiennent compte des répercussions négatives sur les personnes et la planète liées aux placements et aux activités de financement en vertu de normes volontaires comme les Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme et de nouvelles lois connexes sur la durabilité, comme la directive de l’Union européenne relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD). Les grandes institutions financières et les grandes entreprises canadiennes qui ont des filiales ou des succursales en Europe avec un certain chiffre d’affaires dans l’Union européenne pourraient devoir produire des rapports à leur sujet. Compte tenu de l’ampleur des activités minières canadiennes en Amérique latine, nous décrivons les risques importants pour les droits des Autochtones liés aux projets terrestres dans cette région et ce que les investisseurs peuvent faire pour prévenir et atténuer les risques connexes liés aux droits de la personne et aux investissements.

Le contexte des droits de la personne des peuples autochtones en Amérique latine

Les entreprises canadiennes visées par la CSRD obligatoire de l’UE devront divulguer les répercussions les plus importantes de leurs activités commerciales sur la société et l’environnement, ainsi que la façon dont elles sont gérées en parallèle à l’élargissement de la portée de la loi au cours des prochaines années. La recherche montre que les répercussions graves sur les droits de la personne liées au développement des ressources se produisent le plus souvent en Amérique latine et touchent de façon disproportionnée les peuples autochtones.

Les menaces comprennent l’ensemble des multiples répercussions négatives des activités commerciales et industrielles, des groupes criminels et des effets cumulatifs des changements climatiques et de la dégradation de l’environnement qui empiètent sur le droit à la sécurité et sur le droit de profiter de pratiques culturelles et de moyens de subsistance traditionnels, entre autres droits de la personne. De nombreux leaders autochtones ont été persécutés, pris pour cible et même assassinés pour avoir défendu leurs droits dans ces contextes.

L’Amérique latine abrite également environ 185 populations autochtones distinctes en isolement volontaire, dont le droit de rester isolées est enchâssé dans les lois internationales, comme la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Bien que le concept de réconciliation économique en tant qu’avantage du développement des ressources ait gagné en importance dans le contexte des négociations avec les gouvernements autochtones au Canada, il peut être étranger à de nombreux peuples autochtones en Amérique latine, et on ne peut pas présumer que ces concepts sont bien accueillis dans tous les secteurs. Cela souligne l’importance d’une approche fondée sur les droits dans tous les contextes qui est axée sur la nécessité pour les promoteurs de rechercher et de respecter les points de vue locaux au moyen d’une diligence raisonnable de bonne foi, d’éviter la complicité et de respecter le droit au consentement libre, préalable et éclairé (CLPE).

Gestion des risques environnementaux et sociaux

L’Amérique latine abrite de nombreux écosystèmes et habitats uniques, comme l’Amazonie, qui sont essentiels pour assurer les moyens de subsistance de ses habitants, y compris les peuples autochtones, ainsi que pour atténuer les changements climatiques mondiaux et protéger la biodiversité. Les recherches démontrent que le respect et la protection des droits des peuples autochtones, de leurs terres, de leurs ressources et de leurs territoires sont essentiels à la protection de la nature.

Néanmoins, les scientifiques préviennent que l’Amazonie pourrait déjà être près d’un point de non-retour. Cette année, des histoires de sécheresses record ont fait les manchettes dans divers médias, et le tout devrait aller en s’aggravant.

Les organisations de peuples autochtones ont été claires sur la nécessité d’inverser la tendance pour éviter d’atteindre un point de non-retour. La Coordination des organisations autochtones du bassin amazonien (COICA), ainsi que d’autres organisations, ont demandé la protection de 80 % de l’Amazonie d’ici 2025, le respect rigoureux du consentement libre, préalable et éclairé, un moratoire sur la déforestation et la dégradation des forêts primitives, entre autres interventions.

L’empreinte des entreprises canadiennes en Amérique latine

Le Canada, qui compte de nombreuses entreprises du secteur minier, a également une part importante des sociétés minières qui exercent leurs activités en Amérique latine. Selon les estimations de 2014, entre 50 % et 70 % de l’activité minière en Amérique latine implique des sociétés minières canadiennes. Le même rapport a révélé que l’absence de consultation et de mise en œuvre du CLPE par ces mêmes sociétés en Amérique latine était la règle plutôt que l’exception. D’autres rapports ont trouvé de nombreux exemples d’entreprises canadiennes qui exercent leurs activités dans cette région et qui sont liées à des actes de violence. En 2023, une coalition de plus de 50 organisations de la société civile a publié le rapport Unmasking Canada : Rights Violations Across Latin America, qui souligne les enjeux liés aux droits de la personne dans 37 projets canadiens en Amérique latine et dans les Caraïbes.

Le contexte juridique des droits des peuples autochtones et des obligations connexes en Amérique latine

Bien qu’ils soient énoncés plus clairement dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, les droits des peuples autochtones en Amérique latine sont également protégés par divers cadres et instruments juridiques , constitutions nationales, lois nationales et décisions judiciaires.

* Ces instruments comprennent, sans s’y limiter, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques; le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels; la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale; la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes; la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail relative aux peuples indigènes et tribaux et la Convention américaine relative aux droits de la personne.

Par exemple, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a établi que l’État doit respecter les mesures de protection suivantes : une participation effective (y compris le CLPE), un partage raisonnable des avantages tirés de tout plan de développement sur le territoire, et aucune concession sur le territoire autochtone accordée avant la réalisation d’études préalables sur l’incidence environnementale et sociale.

De nombreuses décisions des tribunaux nationaux ont également établi des mesures de protection qui exigent le CLPE. Par exemple, en Colombie et au Brésil, les tribunaux ont déterminé que les protocoles et les lois sur la consultation et le consentement libres, préalables et éclairés des peuples autochtones sont légalement contraignants.

Toutefois, dans la réalité, ces droits et obligations ne sont mis en œuvre qu’une fois les investissements effectués, ce qui entraîne des risques importants. Par exemple, en Équateur, un décret régissant l’octroi de permis en lien avec les peuples autochtones touchés a par la suite été jugé comme étant anticonstitutionnel et suspendu par la cour constitutionnelle du pays pour avoir omis de garantir leurs droits enchâssés dans la Constitution, générant ainsi des risques importants pour les projets miniers. Au Pérou, un tribunal régional a conclu que l’octroi de concessions à des entreprises sur les territoires autochtones où le titre foncier autochtone officiel n’avait pas encore été accordé était illégal. C’est cet écart entre les droits internationaux et les droits des Autochtones enchâssés dans la Constitution et l’absence de protection de ces droits par les autorités locales et régionales qui présente des risques importants et des répercussions négatives sur les droits de la personne et les investissements.

Mesures prioritaires pour les investisseurs

Les investisseurs institutionnels dans les sociétés minières canadiennes peuvent contribuer à faire en sorte que les sociétés émettrices tiennent compte de l’écart de risque en les encourageant à adopter et à mettre en œuvre, dans tous les cas, des approches fondées sur les droits qui s’harmonisent aux normes internationales en matière de droits de la personne, peu importe si les autorités locales et régionales respectent et protègent activement ces droits. Les Principes directeurs des Nations unies ont été élaborés il y a plus de dix ans pour combler explicitement cette lacune en matière de risque et veiller à ce que les sociétés multinationales qui exercent leurs activités à l’étranger respectent les droits de la personne, et ce, peu importe le pays. Ils constituent maintenant le fondement des lois obligatoires sur la durabilité des entreprises, comme la CSRD, et les lois de la France, de l’Allemagne et d’autres États membres de l’UE en matière de diligence raisonnable à l’égard de la chaîne d’approvisionnement. Bien que les investisseurs puissent promouvoir des mécanismes de partage des avantages et d’autres types de partenariats qui créent des avantages économiques et sociaux plus équitables grâce à l’exploitation minière ou à d’autres activités de développement des ressources sur les territoires traditionnels des peuples autochtones, le point de départ devrait être une approche fondée sur les droits, y compris le CLPE, qui tient dûment compte du contexte juridique et des droits de la personne à l’échelle locale, ainsi que des risques pour les défenseurs des droits de la personne autochtones.

Voici les principales mesures que les investisseurs canadiens peuvent prendre sans tarder pour renforcer leur diligence raisonnable :

– Examiner tous les portefeuilles pour y identifier les entreprises avec des activités en Amérique latine, en mettant l’accent sur les secteurs qui demandent beaucoup de terres et de ressources, et faire preuve d’une diligence raisonnable accrue pour comprendre les répercussions sur les peuples autochtones touchés localement.

– Demander aux sociétés émettrices de divulguer des preuves du CLPE.

– Consulter les institutions représentatives des peuples autochtones ou d’autres personnes de la société civile qui travaillent avec les peuples autochtones en Amérique latine au sujet des mesures appropriées à prendre par les investisseurs.

– Sensibiliser les investisseurs à la nécessité de prendre des mesures urgentes en matière de droits de la personne en Amérique latine.


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Auteur

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Sarah Morris Lang

Directrice, Initiatives, Égalité sociale, Investissement responsable
BMO Global Asset Management

Mme Lang est responsable des activités de gérance liées à l’égalité sociale à BMO Gestion mondiale d’actifs (GMA). Elle communique directement avec les ayants droit ou leurs représentants, en plus des sociétés émettrices, des décideurs, des gestionnaires de portefeuille, des conseillers et d’autres parties prenantes clés, afin de promouvoir des pratiques d’affaires responsables qui s’harmonisent aux Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme des Nations Unies. Elle est mère de trois adolescents. Avant de se joindre à BMO GMA en 2022, elle a été intervenante en services d’aide sociale à l’enfance pendant 15 ans et a fait du bénévolat pour l’accueil des réfugiés, ainsi que pour les communications avec les Premières Nations du nord de l’Ontario et la défense de leurs intérêts. Elle est titulaire de baccalauréats en sciences humaines et en arts appliqués, ainsi que de maîtrises en travail social et en administration des affaires.

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Emil Sirén Gualinga

Responsible Investment Association

Emil Sirén Gualinga is a member of the Kichwa People of Sarayaku (Ecuador) and is focused on Indigenous rights and responsible business and investments. Emil was the main author of a due diligence toolkit for institutional investors focused on Indigenous rights developed in collaboration with Amazon Watch, Indigenous rights specialists, others from civil society, and investors. Emil reached out to BMO GAM to raise awareness about context specific Indigenous rights concerns in Latin America. This collaboration is a result of this engagement.